Baptiste

enseignement en milieu pénitencier

La circulaire n°2020-057 du 9 mars 2020, relative à l’enseignement en milieu pénitentiaire (EMP), souligne que « le droit à l’éducation constitue un droit fondamental qui doit s’exercer de la même façon pour les personnes privées de libertés que pour tout autre citoyen ». Néanmoins, les conditions de vie dans les prisons françaises sont régulièrement pointées du doigt. Elles ont ainsi valu à la France une condamnation par la Cour européenne des droits de l’Homme en 2020. L’État s’est par la suite fixé pour but d’améliorer tant les conditions de détention que les conditions de travail et de sécurité des agents pénitentiaires, d’ici 2024. Dans ce contexte, que pouvons-nous dire de la place de l’éducation en prison ? Nous nous sommes entretenus avec Lionel Negre, proviseur-directeur de l’Unité pédagogique régionale de la Direction interrégionale des services pénitentiaires Sud Est, basée à Marseille, pour réfléchir sur ce qui distingue l’enseignement, et plus globalement l’éducation, en milieu pénitentiaire.

L’enseignement en milieu pénitentiaire (EMP)

Selon le ministère de la Justice « l’enseignement en milieu pénitentiaire s’inscrit dans une perspective d’éducation permanente, de formation tout au long de la vie et de préparation à un diplôme (…) [qui] concourt ainsi à la réinsertion des personnes détenues ». Piloté conjointement par l’Éducation nationale et l’administration pénitentiaire, l’EMP est, en principe, ouvert à tout·e détenu·e(1) et se destine en priorité aux plus jeunes (13-17 ans), soumis·e·s à l’obligation scolaire jusqu’à leur majorité, ainsi qu’aux « jeunes majeurs » (18-25 ans) et autres majeur·e·s ne maîtrisant pas les savoirs fondamentaux ou l’usage du français, sur la base du volontariat.

La réinsertion scolaire et professionnelle est l’une des priorités de l’EMP, présenté comme un moyen pour « permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions » dans la convention de partenariat entre l’administration pénitentiaire et l’éducation nationale de 2019.

Il faut en effet tenir compte du fait que la prison a largement pour effet de marginaliser encore davantage les individus qui, souvent, n’ont pu s’assurer une situation sociale et professionnelle stable avant leur incarcération, pour diverses raisons dont un bas niveau d’études. En 2018-2019, plus de la moitié des détenu·e·s sont entré·e·s sans diplôme dans les prisons françaises, et plus d’un tiers avec un niveau ne dépassant pas le Brevet des collèges. En 2022, 10,9% d’entre eux·elles étaient en situation d’illétrisme, un taux supérieur à celui de la population générale. « La première motivation, c’est le projet de sortie, en fonction de la durée de détention (…) » et selon qu’il ait été entamé avant ou qu’il reste à définir, nous affirme Lionel Negre par téléphone. Dans l’immédiat, « sortir de la cellule aussi (…) » pour s’extraire, on l’imagine, pendant un instant, de l’enfermement, de la promiscuité et de l’insalubrité qui caractérisent de nombreux établissements pénitentiaires…

Enseigner face à des conditions de vie « indignes »

Au 1er janvier 2023, l’Observatoire international des prisons recensait, pour la maison d’arrêt des Baumettes de Marseille, une densité carcérale de 152,2% pour les hommes (761 détenus pour 500 places) et de 107,6% pour les femmes (113 détenues pour 105 places). Sur son site web, l’association indique que c’est sur cet établissement que portait, en 2012, le premier de ses 32 recours contre les conditions de détention dans les prisons en France, à la suite d’un rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté. En cause, une surpopulation chronique atteignant 200%, doublée d’un état de délabrement et d’une hygiène qualifiés d’indignes : invasion de rats, chaleur extrême, négligence du nettoyage des draps…

Face aux conditions de vie et autres obstacles, le recours à la scolarisation repose aussi souvent sur l’introspection et « la question du sens de la peine que l’on fait », « philosophique » selon les mots M. Negre, qui poursuit en indiquant que l’EMP concerne environ 30% des détenu·e·s de son UPR, soit 3000 à 3500 personnes réparties dans 16 « centres scolaires ». En réalité, ce pourcentage correspond plus à celui observé en 2019. En mars 2021, peu après la pandémie, il avait chuté à environ 12%, sous la moyenne nationale(2).

Un domaine qui doit démontrer son attractivité

La scolarité en milieu pénitentiaire va du Brevet jusqu’à l’université. Alphabétisation, disciplines ordinaires, projets culturels et « Valeurs de la République » sont dispensés à travers une scolarité qui se veut individualisée. Dans un article qu’il a lui-même écrit, M. Negre reconnaît que « le recrutement des enseignants est parfois difficile »(3) en milieu carcéral, faute de valorisation et de reconnaissance du métier. Le discours de cet ancien principal de collège peut faire écho à la crise des vocations médiatisée à la rentrée 2022, qui touche l’ensemble du monde enseignant.

Une autre difficulté « nette » selon lui est le travail sur la durée, compte tenu des transferts, libérations et nécessités financières des détenu·e·s. De son côté, l’OIP souligne, entre autres obstacles au travail éducatif dans les établissements pour mineur·e·s, l’existence d’une tension entre les cultures professionnelles de l’éducation spécialisée et de la surveillance pénitentiaire(4). Tension qui semble aussi pouvoir toucher intimement les aspirant·e·s enseignant·e·s : « il faut pouvoir travailler en milieu fermé » relève notre interlocuteur.

Quelques éléments sur la philosophie de l’EMP

À l’aide de pratiques issues de l’andragogie (éducation des adultes) et de la pédagogie du projet, il va d’abord s’agir, selon Lionel Negre, de « redonner confiance à l’adulte ». Par exemple, s’il a vécu une scolarité difficile. Notons que les notions d’« éducation permanente », de « formation tout au long de la vie » et de « réinsertion » se côtoient dans le discours de l’administration. Elles charrient cependant des conceptions divergentes de la formation des adultes, à mi-chemin entre la sphère de l’éducation et celle du travail. Les deux premières, en tout cas, renferment l’idée d’une dynamique de (re)construction identitaire et de réalisation de soi via la formation, qu’elle soit scolaire ou professionnelle. Reste à savoir si les ancien·ne·s détenu·e·s scolarisé·e·s peuvent concrètement parler d’émancipation et de promotion sociale, deux idéaux qui sont au fondement du principe d’éducation permanente.

Des associations actives en prison, malgré tout

Lionel Negre, qui fût aussi adjoint du maire de Cavaillon (Vaucluse) chargé de la jeunesse et de l’insertion professionnelle, nous dresse une liste des activités culturelles : ateliers philo’, ciné-débat, arts, concours d’éloquence… Si l’UPR est garante de l’enseignement au sens scolaire du terme, l’éducation n’est pas sa chasse gardée. On retrouve en prison un certain nombre d’ « éducations à » (l’image, la sexualité…), dispensées par des associations sollicitées par le Responsable local de l’enseignement et/ou par l’administration pénitentiaire.

Parallèlement à la qualification scolaire et professionnelle, les enseignements de ce type sont revendiqués comme émancipateurs, participatifs et critiques à la fois, contribuant à une véritable réinsertion sociale. Leurs méthodes, moins formelles, s’adaptent à différentes catégories de détenu·e·s. L’association Les Lucioles du Doc décrit par exemple l’intérêt de ses ateliers de réflexion-débat sur la politique et les droits humains par le cinéma documentaire, aux côtés d’hommes adultes incarcérés à Fleury-Mérogis, dans le Petit manuel critique d’éducation aux médias (éd. du commun, 2021). Le Planning familial des Bouches-du-Rhône anime des ateliers auprès de mineur·e·s sur des sujets relatifs à la vie affective, relationnelle et sexuelle… À travers leurs démarches, les structures d’éducation populaire cherchent à faire valoir l’émancipation critique des détenu·e·s et leur participation à la vie citoyenne.

Néanmoins, le travail associatif au cœur du système carcéral ne va pas sans « choc des cultures », ni sans rapports de pouvoir politique, comme l’a montré en août 2021 l’auto-dissolution du Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées (Genepi). Il était progressivement passé d’association auxiliaire de l’administration pénitentiaire à un positionnement plus ferme et militant contre l’enfermement carcéral, jusqu’à sa rupture avec l’administration en 2018.

(1) En 2017-2018, les femmes représentaient 4,5% des personnes mineures incarcérées et 6,3% des personnes majeures scolarisées.

(2) Calculée par l’administration dans son bilan 2020-2021 à partir des chiffres de 5 des 10 UPR nationaux.

(3) Nègre, Lionel. « L’Unité Pédagogique Régionale Sud-Est : quelle offre de formation et quels enseignements ? », Patrizia Pacini Volpe éd., L’enseignement universitaire en milieu carcéral. Expériences comparées entre la France et l’Italie. Champ social, 2021, pp. 155-176.

(4) https://oip.org/analyse/la-prison-impossible-lieu-deducation/

Quelques ressources recommandées par le CEPEP :

Vidéo

Des Hommes – Documentaire d’Alice Odiot et Jean-Robert Viallet filmé à la prison des Baumettes à Marseille · 1 h 23 min · 2020 (France)

Lecture

Petit manuel critique d’éducation aux médias, Collectif La Friche / EDUmédias, éditions du commun, Rennes, 2021.

NEGRE Lionel, « L’Unité Pédagogique Régionale Sud-Est : quelle offre de formation et quels enseignements ? », dans : Patrizia Pacini Volpe éd., L’enseignement universitaire en milieu carcéral. Expériences comparées entre la France et l’Italie. Nîmes, Champ social, « Questions de société », 2021, p. 155-176. URL : https://www.cairn.info/l-enseignement-universitaire-en-milieu-carceral–9791034606399-page-155.htm

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