Iris Ait Ouadda

Un changement de paradigme : vers une nouvelle posture professionnelle ?

 

Pour les professionnel·le·s qui travaillent avec un public qu’ils accompagnent, chaque intervention nécessite une adaptation de leur approche à la personne accompagnée et à son contexte spécifique ; il n’existe donc pas de « mode d’emploi type de l’intervention ».

Les professionnel·le·s  sont placé·e·s « dans une posture de créateur, d’inventeur de solutions ponctuelles pour des situations uniques ».

 

Yann Le Bossé, psycho-sociologue, enseigne à l’Université de Laval (Québec) où il a fondé, il y a une dizaine d’années, le laboratoire de recherche sur le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités. Il identifie deux postures caractéristiques qui constituent des freins considérables au développement du pouvoir d’agir des habitants : 

  • La posture du sauveur : l’intervenant·e a le sentiment qu’il doit sauver les personnes, apporter des solutions à leurs problèmes. Il perçoit les personnes comme n’ayant pas les possibilités de le faire elles-mêmes. C’est la posture de certain·e·s assistant·e·s sociales.
  • La posture du policier : l’intervenant·e est là pour contrôler les personnes, il les voit comme des porteuses d’un désordre possible ou comme abusant des services que la société leur rend. Il faut donc s’assurer qu’elles respectent les procédures, les normes de la société.

 

Yann le Bossé utilise ces deux postures-types pour clarifier celle qui permet le développement du pouvoir d’agir des personnes concernées : la passeur.

Ce changement de posture consiste pour les acteur·rice·s à réduire la projection sur les habitant·e·s de leurs propres points de repères et à se positionner davantage en accompagnateur·rice ou en appui de la démarche des habitant·e·s.

Le passeur accompagne un collectif d’habitant·e·s qui a un projet / qui souhaite agir face à une situation vécue ou problème auquel il est confronté. Il est « ressource » pour le groupe :  il facilite la réalisation du projet ou de l’action.

Cette posture induit des changement de paradigme et de vision pour passer de :

  • La certitude / contrôle ⇒ au lâcher prise.

La formation et professionnalisation tendent à renforcer le professionnel comme celui qui sait ce qui est bon pour les gens et comment les y amener. Se sentir dépossédé de la conduite d’une action, se laisser porter voire bousculer nécessite un lâcher prise indispensable pour écouter et développer le pouvoir d’agir.  

  • La bonne distance ⇒ à la juste proximité, la « bonne » place.

 

L’injonction de distance professionnelle n’est pas un but en soi et empêche de prendre contact avec les résonances subjectives que la rencontre avec les habitant·e·s ou personnes accompagnées génère naturellement.

  • Intervenir, agir ⇒ agir dans le non-agir, être là.

 

Il n’est pas ici question d’un positionnement passif de l’intervenant·e mais de la valorisation d’une posture qui s’inscrit dans le présent, la présence et l’écoute, de prendre le temps d’être là pour laisser venir la parole, respecter le rythme et accompagner « le mouvement ». L’intervenant·e ainsi partie prenante de la réflexion et de l’action qu’il accompagne. 

 

Il s’agit donc pour les professionnel·le·s d’aujourd’hui et de demain d’accepter la prise de risque « vers un imaginaire social plus démocratique ».