Baptiste Laventure Darival

Nous avons rencontré Chérine Bouaza de la Mission locale de Marseille, pour échanger autour de la mission d’accompagnement à l’insertion professionnelle des jeunes des missions locales, entre le système d’enseignement et le marché du travail. L’occasion de s’interroger plus largement sur l’orientation et l’accès à l’emploi des jeunes, ainsi que leurs fragilités et leurs bifurcations.

L’accueil en mission locale

Que sa voie d’orientation ne lui convienne plus ou que sa carrière d’élève l’ait conduit à une sortie du système d’enseignement secondaire (collège/lycée) sans qualification, un·e jeune identifiera assez rapidement la Mission locale de Marseille comme interlocutrice privilégiée dans sa recherche d’emploi. C’est en effet bien souvent la recherche d’un emploi qui motive l’entrée dans les locaux de l’association, l’une des plus grandes missions locales de France.

Les missions locales d’animation territoriale furent créées à la suite du rapport de Bertrand Schwartz sur l’insertion professionnelle et sociale des jeunes (1981). Deux d’entre elles s’implantèrent dans le Nord de Marseille, tandis que « dans le centre-ville et les quartiers Sud, on avait ce qu’on appelait des PAIO [permanences d’accueil, d’information et d’orientation] », nous indique Chérine Bouaza, responsable des secteurs du 1er, 2e, 3e et 7e arrondissements de Marseille pour la Mission locale. Les missions des PAIO se limitaient à l’époque à l’accueil, à l’information et à l’orientation des 16-18 ans, tandis que les missions locales devaient mettre en œuvre des actions d’insertion auprès des 16-25 ans, à travers 4 fonctions : connaissance des jeunes, accueil et orientation, relation avec les entreprises d’accueil et relation avec les organismes de formation(1). Avec le temps, la fusion des 2 entités a érigé les missions locales en véritable « Pôle emploi des jeunes », selon les mots de Chérine.

Elles reçoivent aujourd’hui majoritairement les décrocheurs, cette catégorie institutionnelle qui désigne les jeunes sorti·e·s précocement et sans qualification de l’École. En effet, la majorité des adolescent·e·s et jeunes adultes qui sont reçu·e·s à Marseille sont peu ou pas diplômé·e·s : 53 % n’ont acquis aucun diplôme, quand 47 % ont obtenu a minima un CAP ou poursuivi des études jusqu’au Bac+2. Les plus diplomé·e·s souhaitent se réorienter après un parcours insatisfaisant, ou n’ont simplement pas le réseau pour trouver un emploi après leurs études.

Des difficultés dans et autour de l’accès à l’emploi

Souvent, l’emploi n’est qu’une composante de la situation des personnes reçu·e·s en entretien: « on se rend compte des autres problématiques ensuite » nous confie Chérine. Elle souligne que, pour certain·e·s, les difficultés de logement, qui vont parfois jusqu’à l’absence d’un toit, ou encore les problèmes de santé physique ou psychologique, le manque d’accès à une solution de mobilité satisfaisante… sont autant de freins dits « périphériques » à l’entrée en formation ou en emploi et qui doivent faire l’objet d’un accompagnement global.

En amont de la vie pro, les défis de l’orientation scolaire

On ne connaît que trop bien le caractère déterminant du diplôme, forme spécifique dereconnaissance des aptitudes, pour décrocher un emploi sur le marché du travail français. A cet égard, les choix opérés avant 18 ans paraissent fatidiques : le palier d’orientation de fin de collège, en classe de troisième, a de fait un rôle déterminant dans les parcours futurs. C’est en effet à ce moment que s’opère de façon nette la différenciation des parcours scolaires et professionnels des élèves. Est-ce un hasard si l’orientation vers les lycées d’enseignement professionnel, qui pour certains labelisés « lycée des métiers » dans le cadre d’une politique de revalorisation de la voie professionnelle, est perçue comme irréversible par la majorité descollégien·ne·s et des enseignant·e·s2 ?

La professionnalisation des parcours et l’insertion pro

En septembre dernier, le Président de la République concédait même que « un collégien sur trois s’oriente dans la voie professionnelle (…) mais c’est trop souvent sans l’avoir voulu ». Il ajoutait : « les lycées professionnels comptent deux tiers des décrocheurs et accèdent plus difficilement à l’emploi»(3). Pour sa part, notre interlocutrice souligne que « la Mission locale fait partie de l’insertion socioprofessionnelle par définition », tout en assurant une mission globale pour « l’accueil, l’information et l’orientation » des jeunes.

À ce titre, le travail sur la notion d’employabilité constitue « l’ADN » de l’association : accompagner l’individu peu qualifié·e, donc pas immédiatement employable, à travers la formation (pré-)qualifiante. Tout cela doit suivre un « principe de réalité », nous indique notre
interlocutrice, qui doit permettre de poser un diagnostic en vue de remédier à sa situation et de faire évoluer son statut, avec en ligne de mire une entrée si possible rapide dans le monde professionnel.

L’employabilité en question

On peut relier la notion d’employabilité aux politiques d’ajustement de la main d’œuvre aux besoins du marché du travail. Pourtant, à notre époque d’incertitude sociale et économique structurelle, les jeunes les plus qualifié·e·s du système d’enseignement peinent eux·elles aussi à trouver une stabilité vis-à-vis de l’emploi.

Ainsi, selon les mots de la sociologue Chantal Nicole-Drancourt « le défi permanent de trouver sa place et/ou de se maintenir sur le marché du travail se généralise à l’ensemble des salariés »(4), et non plus seulement aux jeunes rencontrant des difficultés sociales et scolaires, qui sont néanmoins impacté·e·s a fortiori. Ceci est d’autant plus fragilisant que nous évoluons dans une société où l’emploi occupe une place centrale dans la construction de l’identité (et de l’utilité) sociale de chacun·e.

Emploi et bifurcations des jeunes au temps du Covid-19

La période de pandémie a révélé l’exposition inégale des jeunes vis-à-vis des dynamiques incertaines du monde du travail. Publiés en 2022, les résultats de l’enquête Génération 2017 du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq) indiquent qu’« un peu plus d’un tiers des jeunes (…) ont déclaré que la crise sanitaire les avait conduits à repenser leur projet professionnel ». L’enquête précise que « les jeunes en recherche d’emploi et les auto-entrepreneurs déclarent bien davantage avoir réfléchi à une réorientation»(5), car davantage soumis·e·s à l’inquiétude quant à leur avenir professionnel, mettant ainsi en évidence le fait que la réflexion de ces jeunes sur la réorientation professionnelle reposait globalement sur une « stratégie défensive ».

En parallèle, l’enquête nous rappelle la coexistence de liens entre réussite et optimisme – inégalement répartis entre les groupes sociaux – et de « déterminants sociaux dans l’accès aux dispositifs publics mobilisables pour accompagner des souhaits de reconversion ». On peut dès lors s’interroger plus largement sur les effets du leitmotiv de l’émancipation, qui semble guider toujours davantage l’action publique et associative à destination des jeunes éloigné·e·s de l’emploi, notamment dans les quartiers populaires. Ne tend-il pas à introduire, aux côtés du « principe de réalité », une sorte d’injonction à devenir « entrepreneur de soi »(6)? A cet égard, les dispositifs d’insertion professionnelle établis, tout comme les nouveaux dispositifs, à l’image des Carrefours de l’entrepreneuriat(7), méritent notre attention.

Sources:

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